Le Rythme

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La structure rythmique de la musique indienne ne ressemble à aucune autre. Tout d'abord, le terme tempo ne peut s'appliquer à la vitesse d'exécution. On ne distingue que trois vitesses (lay) relatives: lente (vilambit), moyenne (madhye), et rapide (drut). La vitesse de jeu peut s'accélérer, soit progressivement, soit soudainement par la division de l'unité de temps (laykârî).

Ce qui sépare plus profondément encore la conception indienne du rythme de la nôtre trouve son origine dans deux visions différentes du Temps : pour l'Occident le Temps se déroule linéairement, à l'horizontale, c'est un cheminement plat - vous naissez, vous vivez et vous mourez dans une succession chronologique. En Inde, le Temps se vit sous une forme cyclique, les événements se répètent de façon certes modifiée, mais ils reviennent - sur la roue de la vie, vous naissez, vivez et mourez pour renaître et recommencer un autre cycle.

Cette perception du Temps détermine l'élément principal du rythme en Inde : le tâl est un cycle rythmique et sa fin, le sam, coïncide avec son recommencement.

Le tâl est donc un cercle, mais un cercle découpé, et dont les parties ne sont pas toujours égales. Le sam, dont le nom signifie "ensemble" en sanscrit, est le point d'assemblage de ce cercle. Le sam constitue le premier temps du cycle, et le sam qui termine ce cycle est aussi le premier temps du cycle suivant. Le sam est le symbole de la continuité dans les rythmes indiens.

La façon de marquer les découpes est, elle aussi, très différente de celle utilisée en Occident : le musicien occidental marque le début du temps et repère les découpes par une accentuation de la note lors de son exécution. Cette vision, classique, tend à s'estomper grâce à une influence certaine de la musique indienne sur les musiciens contemporains (Messiaen, Boulez, mais aussi Zappa).

Une phrase musicale peut s'échouer sur le sam, ou culminer sur lui comme elle peut continuer en l'ignorant.
Si l'accentuation du sam est fréquente, mais non obligatoire, la marque du premier temps suivant la découpe ne se fait pas systématiquement par un accent. Le tâl se comporte comme la poésie occidentale, où les sécantes du poème suivent la structure du texte et son intonation.

Les accents ne sont donc pas toujours utiles à la compréhension du tâl.

Autre élément rythmique toujours présent dans le tâl, le temps "à vide" ou khâlî est par contre un bon repère.
Il est placé dans le cycle rythmique sous la forme d'un temps moins marqué.

Les musiciens indiens jouent des accents avec liberté, tout comme des altérations du rythme, de la durée ou même de la non-éxécution d'une note. Les points de repères du tâl sont codés et nous allons vous aider à les déchiffrer.

Généralement le tâl est un cycle rythmique de 5, 6, 8, 10, 12, 14 ou 16 temps, quelquefois 9, 11 ou 15.
Ces temps sont découpés en 2, 3 ou 4 parties.

La notation du temps, pour les notes, se fait par l’intermédiaire de l’écriture du mâtrâ. Un mâtrâ ou temps regroupe une série de notes. Dans un lay, ou vitesse d'éxécution donnée, les mâtrâs sont tous de durée égale. Plus le mâtrâ contient de notes, plus celles-ci sont exécutées rapidement.

Le dhrupad a développé de très nombreux tâls mais désormais le plus souvent utilisé est le chautâl. Le sulfaktâ tâl (dix temps), et le jhaptâl (dix temps) sont également employés.

Un genre spécifique est fréquemment introduit dans les concerts de dhrupad : le dhamâr. Dans la structure du concert il succède au dhrupad, pour apporter un aspect plus rythmique et plus rapide.

Le chanteur ou le percussionniste peuvent, pendant tout le râg, jouer dans des vitesses (lay) différentes, multipliant par deux, trois ou quatre la vitesse d'origine; mais ils peuvent également l'augmenter de 1 à 7/6, 1 1/4 ou 1 1/2. Plus le lay s'accélère, plus le jeu des bols ou la diction deviennent difficiles, et le musicien guette la réaction du public pour moduler ou complexifier l'extraordinaire effet des changements de lay.


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