Le terme râga est apparu dans la littérature indienne dans le Brihaddeshi, œuvre d'un musicien, Matanga, que l'on situe entre le Vème et le VIIème siècle après JC. En sanscrit râg signifie "couleur". Le nom des différents râgas dénote leur origine: régionale comme Sindhû (du Sindh), ou religieuse comme Shrî (pour Lakshmi), Bhairav (la forme terrible de Shiva). Il peut s'agit d'un nom composé: Tansen, grand musicien de la cour de l’empereur Akbar au XVIème siècle, a laissé son sceau (le mot Miân) sur certains râgas, tels que Miân kî Todî, Miân kî Malhâr.
Le nom d'un râga peut également être double lorsqu'un musicien a mélangé deux râgas ensemble, tel Madhukauns.
Le râga est l'expression d'un mode musical extrêmement précis. Il ne s'agit pas d'une composition définitive d’un musicien, reproduite telle quelle par d'autres. En effet, le râga, chaque fois qu'il est interprété, donne naissance à une nouvelle œuvre.
Le râga est destiné à provoquer, par la force de la musique et de la poésie, un sentiment déterminé, le ras. Selon l’esthétique indienne, les ras, littéralement “jus”, sont au nombre de neuf, à savoir l’Érotique, le Comique, le Pathétique, l’Héroïque, le Terrible, l’Odieux, le Merveilleux, le Serein, le Furieux. Le principe du ras se retrouve dans tous les arts de l’Inde. Selon les Indiens, "La poésie est une phrase dont l'âme est le ras".
L'auditeur éclairé, le véritable amateur, celui qui goûte le ras, est dénommé rasik.
Le principe de ras est lié à un autre élément fondamental de l'esthétique indienne, développé par un philosophe de la fin du Xème siècle, Abhinavagupta, qui considère le son comme étant l'élément constitutif du monde.
Selon cette doctrine, le tantrisme, la création du monde est due à la séparation d’un élément primordial en trois sous-éléments, bindu (l’essence), nâd (le son), et spandan (l’impulsion). Chaque réunification de ces éléments permet une nouvelle séparation et donc une re-création du monde.
De la même manière, les composantes de la musique indienne, c’est à dire le sens, le son, et l’articulation des sons autour du rythme, sont éléments primordiaux, constitutifs et générateurs d'un monde d'émotion.
L’articulation du son en particulier a vu son importance soulignée par la pratique de formules religieuses, les mantras, dont les enchantements de nos magiciens sont de lointains cousins.
Le râga utilise, outre le sens des poèmes, le langage du mantra, par l’articulation des sons chantés. Ils chargent l’auditeur d’une énergie, le purifient, le modifient, et cette énergie lui transmet le ras.
Le râga emprunte ce véhicule subtil pour emporter le rasik au cœur même du sentiment esthétique.
L’énergie du son est liée aux mêmes mécanismes que ceux qui ont créé l’univers et maintiennent la réalité de notre monde.
Le râga n’est plus la simple création d'un artiste, mais l'arme des dieux dans la génération et la régénération du Monde.